LE SPECTACLE | THE SHOW | ||||
Émile Verhaeren | trans. Will Stone | ||||
Au fond d'un hall sonore et radiant, Sous les ailes énormes Et les duvets des brumes uniformes, Parfois, le soir, on déballe les Orients. Les tréteaux clairs luisent comme des armes; De gros soleils en strass brillent, de loin en loin; Des cymbaliers hagards entrechoquent leurs poings Et font sonner et tonner les vacarmes. Le rideau s'ouvre: et bruit, clarté, rage, fracas, Splendeur! quand les valseurs et les valseuses roses Apparaissent, mêlant et démêlant leurs poses, En un taillis bougeant de gestes et de pas. Des bataillons de danseuses en marche Grouillent, sur des rampes ou sous des arches; Jambes, hanches, gorges, maillots, jupes, dentelles - Attelages de rut, ou par couples blafards Des seins bridés mais bondissants s'attellent, Passent, crus de sueur ou blancs de fard. Des mains vaines s'ouvrent et se referment vite, Sans but, sinon pour ressaisir L'invisible désir, En fuite; Une clownesse, la jambe au clair, Raidit l'obscénité dans l'air; Une autre encor, les yeux noyés et les flancs fous, Se crispe, ainsi qu'une bête qu'on foule, Et la rampe l'éclaire et bout par en dessous Et toute la luxure de la foule Se soulève soudain et l'acclame, debout. O le blasphème en or criard, qui, là, se vocifère! O la brûlure à cru sur la beauté de la matière! O les atroces simulacres De l'art blessé à mort que l'on massacre! O le plaisir qui chante et qui trépigne Dans la laideur tordue en tons et lignes; O le plaisir humain au rebours de la joie, Alcool pour les regards, alcool pour les pensées, O le pauvre plaisir qui exige des proies Et mord des fleurs qui ont le goût de ses nausées! Jadis, il marchait nu, héroïque et placide, Les mains fraīches, le front lucide, Le vent et le soleil dansaient dans ses cheveux; Toute la vie harmonique et divine Se réchauffait dans sa poitrine; Il la respirait fruste et l'expirait plus belle; Il ignorait la loi qui l'eût dressé: rebelle; Et l'aube et les couchants et les sources naïves Et le frôlement vert des branches attentives Par à travers sa chair donnaient à son âme profonde L'universel baiser qui fait s'aimer les mondes. Mais aujourd'hui, sénile et débauché, Il lèche et mord et mange son péché Il cultive, dans un jardin d'anomalies, Bibles, codes, textes, règles, qu'il multiplie Pour les nier et les flétrir par des viols. Et ses amours sont l'or. Et ses haines? les vols Vers la beauté toujours plus claire et plus certaine Qui s'ouvre en fleurs d'astres au pré des nuits lointaines. Et le voici au fond de palais monstrueux Dont les vitraux dardent aux cieux L'inquiétude, Et le voici, soudain, qui se transforme en multitude. La scène brille, ainsi qu'un éventail, Au fond, luisent des minarets d'émail Et des maisons et des terrasses claires. Sous les feux bleus des lampadaires, En rythmes lents d'abord, mais violents soudain, Se cueillant des baisers et se frôlant les seins, Se rencontrent les bayadères; Des négrillons, coiffés de plumes, - Les dents blanches, couleur d'écume, En leurs bouches, vulves ouvertes, - Bougent, tous les mêmes, d'après un branle inerte. Un tambour bat, un son de cor s'entête, Un fifre cru chatouille un refrain bête, Et c'est enfin, pour la suprême apothéose, Un assaut fou débordant sur les planches, Un étagement d'or, de gorges et de hanches, D'enlacements crispés et de terribles poses Et des torses offerts et des robes fendues Et des grappes de vice entre des fleurs pendues. Et l'orchestre se meurt ou brusquement halète Et monte et s'enfle et roule en aquilons; Des spasmes sourds sortent des violons; Des chiens lascifs semblent japper dans la tempête Des bassons forts et des gros cuivres; Mille désirs naissent, gonflés, pesants, goulus. On les dirait si lourds que tous, n'en pouvant plus, Se prostituent en hâte et choient et se délivrent. Et minuit sonne et la foule s'écoule - Le hall fermé - parmi les trottoirs noirs; Et sous les lanternes qui pendent Rouges, dans la brume, ainsi que des viandes, Ce sont des filles qui attendent. |
At the end of an echoing, radiant hall, beneath vast wings and the quilts of uniform mists, at times, of an evening, they parade the Far East. The bright trestles gleam like weapons; now and then, giant suns of paste shine down; the frantic cymbalists clash their fists and urge the din and racket to thunder on. The curtains open: noise, brightness, fury, roar, splendour! when dance partners in pink appear, mingling and extricating their pose in a moving copse of feet and gesture. On the move, battalions of female dancers teem up the ramps or under the arches; legs, hips, throats, skirts, lace, jerseys - harnessed in rut, or in ghastly pairings, breasts hemmed in, yet bursting forth, - they pass, raw with sweat or powdered white. Hastily their futile hands close and open, without purpose, save to snatch at hidden pleasures, which flee them; some female clown, legs unsheathed stiffens obscenity into the atmosphere; another still, eyes drowned and breast crazed, tenses, like a beast trampled down and the ramp lights hold her and boil beneath and all the lust of the crowd abruptly rises and acclaims her, on its feet. Oh the blasphemy in garish gold that hurls abuse! Oh the cruel burn on the beauty of substance! Oh the hideous parodies of an art wounded to death and slaughtered! Oh the pleasure that sings and treads heavily down in the twisted ugliness of tone and line; Oh human pleasure against that of joy, liquor for thoughts, liquor for glances Oh the meagre pleasure that demands its martyr and bites the bloom which offers its nauseous flavour! Once, he walked naked, heroic and placid, hands fresh and forehead lucid, the wind and sun were dancing in his hair; all life was divine, harmonious and warmed him in his breast; coarsely he breathed in and serenely out; he ignored the law which had made him: revolt; the dawn and sunsets and innocent springs and the green rustling of trees so careful, attentive across the flesh his profound soul was granted that universal kiss which locked all worlds in tenderness. But today, senile and debauched, he licks up, chews and swallows his sin; he cultivates, in a garden of anomalies, bibles, laws, texts, rules that he multiplies to deny them and by desecration break them. And his loves are of gold. And his hatreds? Flights towards a beauty still more pure and righteous which emerges as star flowers on faraway nights in
And there he goes, to the end of monstrous palaces, whose windows fire to the heavens restlessness, and there he goes, suddenly transformed into the multitude. The scene glitters just like a fan, at the ends, gleam the enamel minarets and then the houses and bright terraces. Beneath the blue light of the lamps in slow rhythm at first, but of a sudden more violent, kisses are stolen and breasts brush past, coming together in striped colours; picanninies, with feathered hair, - white teeth, the colour of foam, in their mouths, an open sex, - move as one, after a motionless swing. A drum beats, a horn's sound persists, a crude fife tickles an idiot refrain, and finally for a grand finale, a mad charge on the boards overflows, of throats and hips, a layering of gold, tense clasping and atrocious pose, slits in gowns, upper bodies offered and clusters of vice amidst the hanging flowers. And the orchestra dies down or suddenly gasps, rises and swells and rolls in great gusts; dull spasms depart from the violins; lustful dogs seem to whine in the storm of heavy brass and roaring bassoons; a thousand cravings, gluttonous, voracious are born. And so heavy you think none could bear it any more, but they prostitute themselves at speed, fall together
And midnight chimes and the crowd disperses - the hall is closed - but along dark pavements and beneath lamps that hang deep red, in the fog, like sides of meat, there wait the girls who work the street. |