LES MALADES | THE SICK |
Émile Verhaeren | trans. Will Stone |
Pâles, nerveux et seuls, les tragiques malades Vivent avec leurs maux. Ils regardent le soir S'épandre sur la ville et blêmir les façades, Une église près d'eux lève son clocher noir, Heure morte, là-bas, quelque part, en province, En des quartiers perdus, au fond d'un clos désert, Où s'endeuillent les murs et les porches dont grince Le gond monumental, ainsi qu'un poing de fer. Pâles et seuls les malades hiératiques, Pareils à de vieux loups mornes, flairent la mort; Ils ont mâché la vie et ses jours identiques Et ses mois et ses ans et leur haine et leur sort. Mais aujourd'hui, barricadés dans le cynisme De leur dégoût, ils ont l'esprit inquièté: "Si le bonheur régnait dans ce mâle égoïsme: Souffrir pour soi, tout seul, mais par sa volonté? "Ils ont banalement aimé comme les autres Les autres; ils ont cru, bénévoles, aux deuils A la souffrance, à des gestes prêcheurs d'apôtres; Imbéciles, ils ont eu peur de leurs orgueils "Vides, les îles d'or, là-bas, dans l'or des brumes, Où les rêves assis, sous leur manteau vermeil, Avec de longs doigts d'or effeuillaient aux écumes Les ors silencieux qui pleuvaient du soleil. "Cassés, les mâts d'avant, flasques, les grands voiles! Laissez la barque aller et s'éteindre les ports: Aucun phare ne tend vers les grandes étoiles Son bras immensément en feu - les feux sont morts!" Nerveux et seuls, les malades hiératiques, Pareils à de vieux loups mornes, flairent la mort ; Ils ont mâché la vie et ses jours identiques Et ses mois et ses ans et leur haine et leur sort. Et maintenant, leur corps? - cage d'os pour les fièvres; Et leurs ongles de bois heurtant leurs fronts ardents Et leur hargne des yeux et leur minceur de lèvres Et comme un sable amer, toujours, entre leurs dents. "Et le regret éveille en eux l'orgueil posthume De s'en aller revivre en un monde nouveau Dont le couchant, pareil à un trépied qui fume, Dresse le Dieu féroce et noir en leur cerveau." Nerveux et seuls, ils sont les tragiques malades Aigus de tous leurs maux. Ils regardent les feux S'épandre sur la ville et les pâles façades Comme de grands linceuls venir au devant d'eux. |
Pale, uneasy and alone, the tragic sick live on with their maladies. They watch evening envelop the town, turning the facades pale, the church next door raise its black bell. Dead hour, somewhere in the provinces, in forgotten districts, at the end of some abandoned fold where the walls plunge in mourning and porches creak on their massive hinges like iron fists. Pale and alone the hieratic sick, doleful old wolves, nose out death; they have chewed life, her duplicate days her months and years, her loathing and fate. But now, barricaded in the cynicism of their weariness, they have fretful spirits: 'And if joy reigned in this male self-interest to suffer for oneself, in solitude, but at one's own wish? Like the rest they knew humdrum love like the rest; they believed, voluntarily in bereavement, sufferance, the apostles their moralizing movements; idiots! They were so terrified of their pride deserted now, the golden isles in mists of gold, where dreams languish, under their ruby shawl, with long golden fingers shedding to spume silences of gold that rain from the sun. Broken, masts to fore, flaccid now the great sails! Let the barque go on to extinguish the ports: no lighthouse reaches out towards the great stars, arm all ablaze - such light is no more!' Uneasy and alone, the hieratic sick, doleful old wolves, nose out death; they have chewed life, her duplicate days her months and years, her loathing and fate. And their bodies now? bone cages for fevers; and their fingernails of wood strike keen brows and the spite of their eyes, their lip's leanness and always as if a bitter sand between their teeth. 'And in them a waking regret, posthumous pride to leave reborn for a brand new world whose waning like a tripod which smokes erects in their brain a dark and furious God.' Uneasy and alone, these are the tragic sick sharp with illness. They watch the lights envelop the town and its pale facades as if advancing before them, their burial shroud. |