LE LAC | THE LAKE |
Alphonse de Lamartine | tr. Andrea Moorhead |
Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour? O lac! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes; Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés: Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappèrent les échos; Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère Laissa tomber ces mots: "O temps, suspends ton vol! et vous, heures propices, Suspendez votre cours! Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours! "Assez de malheureux ici-bas vous implorent: Coulez, coulez pour eux; Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent; Oubliez les heureux." Mais je demande en vain quelques moments encore, Le temps m'échappe et fuit; je dis à cette nuit: "Sois plus lente"; et l'aurore Va dissiper la nuit. Aimons donc, aimons donc! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive; Il coule, et nous passons! Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur? Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace? Quoi! passés pour jamais? quoi! tout entiers perdus? Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus? Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez? Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez? O lac! rochers muets! grottes! forêt obscure! Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir! Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages, Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux, Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages Qui pendent sur tes eaux! Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe, Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés, Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface De ses molles clartés! Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire, Que les parfums légers de ton air embaumé, Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire, Tout dise: "Ils ont aimé!" | And thus, forever driven towards new shores, Swept into eternal night without return, Will we never, for even one day, drop anchor On time's vast ocean? O Lake! Only a year has now gone by, And to these dear waves she would have seen again, Look! I'm returning alone to rest on the very work Where you saw her rest! Then as now, you rumbled under these great rocks; Then as now, you broke against their torn flanks; The wind hurling the foam from your waves Onto her adored feet. One evening, you recall? We drifted in silence; Far off on the water and under the stars hearing Only the rhythmic sound of oars striking Your melodious waves. Suddenly strains unknown on earth Echoed from the enchanted shore; The water paid heed, and the voice so dear To me spoke these words: "O time, suspend your flight! and you, blessed hours, Suspend your swift passage. Allow us to savor the fleeting delights, Of our most happy days! So many wrteched people beseech you: Flow, flow quickly for them; Take away the cares devouring them; Overlook the happy." But I ask in vain for just a few more moments, Time escaping me flees; While I beg the night: 'Slow down,' already It fades into dawn. Then let us love, let us love! And the fleeting hours Let us hasten to enjoy. We have no port, time itself has no shore; It glides, and we pass away. Jealous time, will these moments of such intoxication, Love flooding us with overwhelming bliss, Fly past us with the same speed As dark and painful days? What! will we not keep at least the trace of them? What! They are gone forever? Totally lost? This time that gave them and is obliterating them, Will it never return them to us? Eternity, nothingness, past, somber abysses, What are you doing with the days you swallow up? Speak: will you ever give back the sublime bliss You stole from us? O lake! silent rocks! shaded grottoes! dark forest! You whom time can spare or even rejuvenate, Preserve, noble nature, preserve from this night At least the memory! May it live in your peace, may it be in your storms, Beautiful lake, and in the light of your glad slopes, And in these tall dark firs and in these savage rocks, Overhanging your waves. May it be in the trembling zephyr passing by, In the endless sounds that carry from shore to shore In the silver faced star that whitens your surface With its softened brilliance. May the moaning wind and sighing reed, May the delicate scent of your frangrant breeze, May everything that we hear and see and breathe, Awaken the memory of - their love! |
Trans. Copyright © Andrea Moorhead