VOYAGE DE CERISIER | THE CHERRY TREE'S JOURNEY | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Vénus Khoury-Ghata | trans, Marilyn Hacker | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Le cerisier ce matin nous fit ses adieux Il partait pour l'Amérique à quoi attacherons-nous l'âne demanda la mère à l'ombre de son tronc répondit le père Nina qui touillait la neige pour le souper ajouta trois grains de cumin au diable l'avarice ,,,,,,,,,,* L'ombre se consume d'amour pour l'arbre absent midi l'étrécit tache sombre sous son pied la terre est opaque de chagrins retenus où prennent source les larmes? ,,,,,,,,,,* La pluie n'est plus la même depuis la mort du petit frère dit la mère jadis elle sortait de terre laissant le ciel à la neige qui fondait d'étonnement ,,,,,,,,,,* À quoi sert la neige demande Nina qui lange le potiron
,,,,,,,,,,* Le soleil était épineux lorsque la mère planta l'enfant
lava les murs dans le fleuve comme elle le fait du linge les sept cailloux lancés contre le ciel lui revinrent enrobés
quatre cailloux pour fixer le toit de la réserve appuyé sur sa bêche le jardinier est aussi seul que l'arbre qui le regarde Les fleuves qui marchent en ligne droite ne retiennent
quel temps fait-il à la source? leur a-t-elle demandé ,,,,,,,,,,* L'epicéa prépare un mélange de six herbes pour les mères qui touillent le potage en cercles clos les enfants morts n'ont qu'à se mettre à table les mains transies feront la vaisselle éteindront les lumières puis claqueront la porte derrière eux dans un froissement
,,,,,,,,,,* La mère range les billes par ordre de taille et de tristesse l'enfant jouera quand il sera moins mort quand l'herbe qui a poussé sur son lit sera moins blanche, après l'horizon il y a un autre horizon dit-elle en se hissant
dans sa paume un galet ,,,,,,,,,,* L'ombre du soleil sur l'allée présage oubli et consolation le père dessine son contour avec un bâton qu'il plante an milieu du cercle ,,,,,,,,,,* Grand'père récapitule son rêve à l'envers pour retrouver ses lunettes égarées dans son sommeil il dit: fermer les veux ne change en rien ce qui se passe dans le noir les vieilles maisons trébuchent dans l'obscurité ,,,,,,,,,,* Nous plions ton ombre le soir, écrit le père à Cerisier nous la rangeons près de la chatte qui a mis bas six chatons couleur de suie que décolorera la neige grand père a retrouvé ses lunettes dans le poulailler ,,,,,,,,,,* Cerisier a fait fortune en Amérique c'est du moins ce qu'il dit sa lettre pèse son poids d'abondance et de prospérité il épousera une riche Cerisière dit le chat qui plume une
,,,,,,,,,,* Les hommes d'Amérique dorment debout comme les chevaux
des chats les attendent derrière les portes ils doivent les nourrir et arroser le basilic j'aurais dû emporter mon ombre avec moi ,,,,,,,,,,* Il pleut sur l'hiver d'Amérique les moineaux mangent mes noyaux et jettent la chair par-dessus leurs épaules je suis seul à droite seul à gauche pourquoi n'ai-je pas emporté mon ombre? ,,,,,,,,,,* Dessine ta peur m'a dit le vent j'ai dessiné une invasion d'herbe silencieuse que dessine-t-on dans les pays qui n'ont pas de minarets? a demandé un grenadier venu à pied d'Anatolie ,,,,,,,,,,* Les hommes d'Amérique taillent leurs arbres comme des
avec des murs attachés à leur ceinture Le soir ils font courir les chemins avec leurs chiens Les hommes d'Amérique dessinent Dieu de droite à gauche
soluble dans l'eau comme le saule son ombre le précédant et parfois l'inverse quand il prend à la terre l'envie de se
,,,,,,,,,,* Voici ta prison m'ont dit les enfants en traçant un cercle autour de mon pied avant de rentrer dans leur livre ,,,,,,,,,,* Comme tu as vieilli dit la mère à l'enfant vu d'en haut tu ressembles à un sarment de vigne vu d'en bas à une brindille de pin ton berceau démonté a rejoint la forêt Nina s'appuie sur la jarre pour empêcher le lait de tourner ,,,,,,,,,,* Le père dit: des vents contraires ont raturé l'enfant la mère tricote un bébé de laine long comme l'année rond comme un pain cuit entre deux pierres essaie-le dit-elle à Nina pour savoir s'il a la forme de ton
,,,,,,,,,,* Le linge sur la corde a suivi la tempête la mère l'a appelé à travers la grille fermée aux lapins le corsage de soie blanc battait des ailes le drap de noces flottait au-dessus du cimetière le coeur de Nina et les volets s'arrachaient à leurs gonds ,,,,,,,,,,* Le vent dit-elle oeuvre en cercles fermés avec sa panoplie
parapluies transis miroirs de poche ses cris tassent les haies où s'abritent des vents femelles pourquoi le vent n'a-t-il pas de maison? ,,,,,,,,,,* Où vas-tu comme ça? a demandé la porte à la mère ramener la maison à la maison pour la fin du deuil ,,,,,,,,,,* Les sept lunes de la semaine sont les amies de la maison c'est pour elles que la mère plonge la cannelle dans le lait
,,,,,,,,,,* La lune, dit-il, est lucarne de Mahomet c'est le Prophète qui a taillé le cyprès en crayon à papier lui qui a ordonné au papyrus d'écrire le livre des morts et donné au chêne la sueur des hommes quand les femmes relèvent leurs jupes pour contenir le feu des
,,,,,,,,,,* Le père écrit une lettre à la vitesse du vent Nina, dit-il, est amoureuse jusqu'aux yeux c'est visible à sa manière d'enfiler les poivrons comme des
il y avait réception au cimetière et porte ouverte à l'étang il paraît que les âmes égarées et les insectes prolifèrent
,,,,,,,,,,* Donnez-moi des ciseaux pour couper les cheveux du
,,,,,,,,,,* Quatre murs avait la maison répète Nina quatre côtés la boîte d'allumettes et quatre enfants moins un qui alla rejoindre la portée de
,,,,,,,,,,* Approche-toi de la fenêtre si tu veux confondre l'air
libérer la cigale de la boite d'allumettes effacer l'empreinte de l'enfant sur l'eau ,,,,,,,,,,* Odeur humide des sanglots sèche de la jarre adossée à la porte sur le seuil étréci au centre la chatte est lourde de lait inutile le soir pèse sur sa nuque raidie par l'attente l'année, se dit-elle, sera retournée ,,,,,,,,,,* Même silence des chatons et du puits la colère du père renverse la maison personne ne ramasse le débris de l'encrier la lampe n'applaudit plus avec les lucioles nous sommes riches de quatre murs nous ne partageons la lune avec personne ni ne consolons aucun nuage Un nuage c'est fait pour pleurer ,,,,,,,,,,* La lune maigrit à vue d'oeil dit Nina elle est exsangue j'ai vu les chiens laper son sang sur le talus le facteur à sa vue arrête sa tournée demain il apportera la lettre rouge au paillasson les graines jaunes au merle demain il échangera sa vieille bicyclette contre un âne
,,,,,,,,,,* À quoi attacherons-nous l'ombre du cerisier maintenant que nous n'avons plus ni âne ni cerisier? demande la mère |
The cherry tree said his farewells to us this morning He's leaving for America where can we tie up the donkey now, asked the mother to the shadow of his trunk, the father answered Nina, who was stirring up snow for supper added three grains of cumin stinginess be damned ,,,,,,,,,,* The shadow is wasting away with love for the absent tree noon shrinks it to a dark stain underfoot the earth is opaque with untold sorrows from what source do tears spring? ,,,,,,,,,,* The rain isn't the same since little brother died says the mother it used to come up from the earth leaving the sky to the snow which melted in astonishment ,,,,,,,,,,* What use is the snow? asks Nina, diapering the pumpkin
,,,,,,,,,,* The sun was thorny when the mother planted the child in
washed its walls in the river the way she did laundry the seven pebbles hurled against the sky came back to her
four pebbles to hold down the roof of the garden shed leaning on his spade the gardener is as solitary as the tree which looks at him Rivers which flow in a straight line gather no pebbles Nina picked up three that were all the same color What's the weather like at the source? she asked them ,,,,,,,,,,* The spruce tree prepares a mixture of six herbs for mothers who stir soup in closed circles dead children have only to come and sit at the table cold-pierced hands will do the dishes turn out the lights then slam the door behind them with a rustling of wings ,,,,,,,,,,* The mother arranges the marbles by size and sadness the child will play with them when he's less dead when the grass which grew on his bed is less white beyond the horizon there's another horizon she says pulling
when a little drowned child comes up to the surface with a pebble on his palm ,,,,,,,,,,* The sun's shadow on the path presages forgetfulness and
which he plants in the middle of the circle ,,,,,,,,,,* Grandfather goes over his dream backwards to find his glasses which strayed in his sleep he says: closing your eyes doesn't change what happens in the darkness old houses stagger in the night ,,,,,,,,,,* We fold up your shadow in the evening, writes the father to
six soot-colored kittens who'll be bleached by the snow grandfather found his glasses in the chicken-house ,,,,,,,,,,* Cherry-Tree has made his fortune in America at least that's what he says his letter is weighed down with abundance and prosperity he will marry a rich lady Cherry-Tree, says the cat who's
,,,,,,,,,,* People in America sleep standing up like horses, according
cats wait for them behind their doors they have to feed them and water the basil I should have brought my shadow with me ,,,,,,,,,,* It's raining on the winter of America sparrows eat my cherry-pits and throw the fruit-flesh over their shoulders I'm alone to the right alone to the left why didn't I bring my shadow? ,,,,,,,,,,* Draw your fear, the wind said to me I drew an invasion of silent grass what do they draw in countries that have no minarets? asked a pomegranate tree come on foot from Anatolia ,,,,,,,,,,* The people of America sharpen their trees like pencils,
with walls attached to their belts In the evening they make the roads run with their dogs The people of America draw God from right to left like
soluble in water like the willow with his shadow preceding him and sometimes the other way round when the earth gives him a
,,,,,,,,,,* Here is your prison the children said to me drawing a circle around my foot before going back into their book ,,,,,,,,,,* How you've aged says the mother to the child seen from above you look like a vine shoot seen from below like a pine-needle your cradle was taken apart and went back to the forest Nina relies on the jug to keep the milk from turning ,,,,,,,,,,* The father says: contrary winds have crossed out the child the mother is knitting a woolen baby as long as the year round as a loaf of bread baked between two stones try it on she says to Nina to see if it's same the shape as
,,,,,,,,,,* The laundry on the line followed the wind the mother called after it from behind the gate closed to
the wedding sheet floated above the cemetery Nina's heart and the shutters tore away from their hinges ,,,,,,,,,,* The wind she says works in closed circles with its set of
pierced umbrellas pocket mirrors its cries thicken the hedges where the female winds take shelter why doesn't the wind have a house? ,,,,,,,,,,* Where are you going looking like that? the door asked the mother to bring the house home for the end of mourning ,,,,,,,,,,* The week's seven moons are friends of the household its for them that the mother plunges cinnamon in boiling
,,,,,,,,,,* The moon he says is Mohammed's skylight it's the Prophet who sharpened the cypress into a pencil to
and gave to the oak men's sweat when women raise their skirts to hold back the fire of the braziers ,,,,,,,,,,* The father writes a letter as quickly as the wind Nina, he says, is in love up to her eyes it's visible in the way she skewers the peppers like kisses Grandfather didn't close his eyes all night long there was a cocktail party at the cemetery and open house
,,,,,,,,,,* Give me a scissors to cut the camphor trees hair says the mother who has neither scissors nor camphor tree ,,,,,,,,,,* Four walls had the house Nina would repeat four sides the box of matches and four children minus one who went to join the litter of
,,,,,,,,,,* Come close to the window if you want to trick the air
free the cricket from the match-box erase the child's imprint on the water ,,,,,,,,,,* Damp odor of sobs dry odor of the jug with its back against the door on the threshold shrunk in the center the cat is heavy with useless milk evening weighs on her neck stiffened with waiting the year, she says so herself, will be turned around ,,,,,,,,,,* The same silence from the kittens and the well the father's anger overturns the house no one picks up the shards of the inkwell the lamp no longer applauds with the fireflies we are endowed with four walls we don't share the moon with anyone or console any cloud A cloud is made for weeping ,,,,,,,,,,* The moon is shrinking away before our eyes says Nina it is pale and bloodless I saw dogs lapping up its blood on the hillside The postman stopped his rounds at the sight of it tomorrow he will bring the red letter to the doormat yellow grains to the blackbird tomorrow he'll trade his old bicycle for a brand-new
,,,,,,,,,,* Where will we tie up the cherry-tree's shadow now that we have neither donkey nor cherry-tree? asks the mother |
Copyright © Vénus Khoury-Ghata 2004; Trans, copyright © Marilyn Hacker 2004 - publ, "PN Review"