LA MAISON DES MORTS | THE HOUSE OF THE DEAD |
Guillaume Apollinaire | trans. James Kirkup |
À Maurice Raynal. S'étendant sur les côtés du cimetière La maison des morts l'encadrait comme un cloître À l'intérieur de ses vitrines Pareilles à celles des boutiques de modes Au lieu de sourire debout Les mannequins grimaçaient pour l'éternité Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours J'étais entré pour la première fois et par hasard Dans ce cimetière presque désert Et je claquais des dents Devant toute cette bourgeoisie Exposée et vêtue le mieux possible En attendant la sépulture Soudain Rapide comme ma mémoire Les yeux se rallumèrent De cellule vitrée en cellule vitrée Le ciel se peupla d'une apocalypse Vivace Et la terre plate à l'infini Comme avant Galilée Se couvrit de mille mythologies immobiles Un ange en diamant brisa toutes les vitrines Et les morts m'accostèrent Avec des mines de l'autre monde Mais leur visage et leurs attitudes Devinrent bientôt moins funèbres Le ciel et la terre perdirent Leur aspect fantasmagorique Les morts se réjouissaient De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière Ils riaient de leur ombre et l'observaient Comme si véritablement C'eût été leur vie passée Alors je les dénombrai Ils étaient quarante-neuf hommes Femmes et enfants Qui embellissaient à vue d'oeil Et me regardaient maintenant Avec tant de cordialité Tant de tendresse même Que les prenant en amitié Tout à coup Je les invitai à une promenade Loin des arcades de leur maison Et nous bras dessus bras dessous Fredonnant des airs militaires Oui tous vos péchés sont absous Nous quittâmes le cimetière Nous traversâmes la ville Et rencontrions souvent Des parents des amis qui se joignaient À la petite troupe des morts récents Tous étaient si gais Si charmants si bien portants Que bien malin qui aurait pu Distinguer les morts des vivants Puis dans la campagne On s'éparpilla Deux chevau-légers nous joignirent On leur fit fête Ils coupèrent du bois de viorne Et du sureau Dont ils firent des sifflets Qu'ils distribuèrent aux enfants Plus tard dans un bal champêtre Les couples mains sur les épaules Dansèrent au son aigre des cithares Ils n'avaient pas oublié la danse Ces morts et ces mortes On buvait aussi Et de temps à autre une cloche Annonçait qu'un nouveau tonneau Allait être mis en perce Une morte assise sur un banc Près d'un buisson d'épine-vinette Laissait un étudiant Agenouillé à ses pieds Lui parler de fiançailles Je vous attendrai Dix ans vingt ans s'il le faut Votre volonté sera la mienne Je vous attendrai Toute votre vie Répondait la morte Des enfants De ce monde ou bien de l'autre Chantaient de ces rondes Aux paroles absurdes et lyriques Qui sans doute sont les restes Des plus anciens monuments poétiques De l'humanité L'étudiant passa une bague À l'annulaire de la jeune morte Voici le gage de mon amour De nos fiançailles Ni le temps ni l'absence Ne nous feront oublier nos promesses Et un jour nous aurons une belle noce Des touffes de myrte À nos vêtements et dans vos cheveux Un beau sermon à l'église De longs discours après le banquet Et de la musique De la musique Nos enfants Dit la fiancée Seront plus beaux plus beaux encore Hélas! la bague était brisée Que s'ils étaient d'argent ou d'or D'émeraude ou de diamant Seront plus clairs plus clairs encore Que les astres du firmament Que la lumière de l'aurore Que vos regards mon fiancé Auront meilleure odeur encore Hélas! la bague était brisée Que le lilas qui vient d'éclore Que le thym la rose ou qu'un brin De lavande ou de romarin Les musiciens s'en étant allés Nous continuâmes la promenade Au bord d'un lac On s'amusa à faire des ricochets Avec des cailloux plats Sur l'eau qui dansait à peine Des barques étaient amarrées Dans un havre On les détacha Après que toute la troupe se fut embarquée Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants À l'avant du bateau que je gouvernais Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d'une robe jaune D'un corsage noir Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris Orné d'une seule petite plume défrisée Je vous aime Disait-il Comme le pigeon aime la colombe Comme l'insecte nocturne Aime la lumière Trop tard Répondait la vivante Repoussez repoussez cet amour défendu Je suis mariée Voyez l'anneau qui brille Mes mains tremblent Je pleure et je voudrais mourir Les barques étaient arrivées À un endroit où les chevau-légers Savaient qu'un écho répondait de la rive On ne se lassait point de l'interroger Il y eut des questions si extravagantes Et des réponses tellement pleines d'à-propos Que c'était à mourir de rire Et le mort disait à la vivante Nous serions si heureux ensemble Sur nous l'eau se refermera Mais vous pleurez et vos mains tremblent Aucun de nous ne reviendra On reprit terre et ce fut le retour Les amoureux s'entr'aimaient Et par couples aux belles bouches Marchaient à distances inégales Les morts avaient choisi les vivantes Et les vivants Des mortes Un genévrier parfois Faisait l'effet d'un fantôme Les enfants déchiraient l'air En soufflant les joues creuses Dans leurs sifflets de viorne Ou de sureau Tandis que les militaires Chantaient des tyroliennes En se répondant comme on le fait Dans la montagne Dans la ville Notre troupe diminua peu à peu On se disait Au revoir À demain À bientôt Beaucoup entraient dans les brasseries Quelques-uns nous quittèrent Devant une boucherie canine Pour y acheter leur repas du soir Bientôt je restai seul avec ces morts Qui s'en allaient tout droit Au cimetière Où sous les Arcades Je les reconnus Couchés immobiles Et bien vêtus Attendant la sépulture derrière les vitrines Ils ne se doutaient pas De ce qui s'était passé Mais les vivants en gardaient le souvenir C'était un bonheur inespéré Et si certain Qu'ils ne craignaient point de le perdre Ils vivaient si noblement Que ceux qui la veille encore Les regardaient comme leurs égaux Ou même quelque chose de moins Admiraient maintenant Leur puissance leur richesse et leur génie Car y a-t-il rien qui vous élève Comme d'avoir aimé un mort ou une morte On devient si pur qu'on en arrive Dans les glaciers de la mémoire À se confondre avec le souvenir On est fortifié pour la vie Et l'on n'a plus besoin de personne |
For Maurice Raynal On all sides the cemetery was enclosed As in a cloister by the house of the dead Behind its plate glass windows Which were like a fashionable hat-shop's The mannequins instead of standing erect and smiling Pulled faces at eternity After a couple of weeks or so in Munich I had entered for the first time and quite by chance This almost deserted cemetery And my teeth chattered At the sight of all those respectable townsfolk Rigged out in their Sunday best Waiting to be buried Suddenly Swift as thought The eyes lit up again From glassy cell to glassy cell The sky was animated by a real Apocalypse And the world an infinite flatness As it was before the days of Galileo Was peopled by a thousand motionless mythologies A diamond-headed angel shattered all the windows And the dead came to meet me With their other-worldly look But their faces and their attitudes Soon took on a less funereal appearance Sky and earth had lost Their phantasmagorical look The dead were rejoicing At the sight of their defunct bodies agairst the light They laughed to see their shadow and watched it As if it were really Their past life Then I counted them There were forty-nine men Women and children And growing lovelier every minute And they were looking at me now With so much kindliness So much tenderness even That I immediately Asked them all to be my friends I invited them to walk with me Far from their vaulted dwellings And we all ran arm in arm Out of the cemetery Singing a military air Yes all your sins are forgiven now We danced through the town And often encountered Parents and friends who joined The little band of the newly-dead Everyone so gay So charming looking so well That it would have taken a clever man To tell the dead from the living Then in the fields We ran this way and that Two light-horsemen joined us We gave them a good time They cut twigs From the wayfarer's and The elderberry tree And made whistles Which they distributed among the children Later at a country dance The couples placing their hands on each others' shoulders Danced to the shrill music of the citherns They had not forgotten how to dance Those dead men and dead women There was drinking too And from time to time a bell rang Announcing that a fresh barrel Was about to be tapped A dead girl sitting on a bench In the shade of a barberry bush Was letting a student Kneel at her feet And talk to her of marriage I will wait for you Ten years if necessary The things you wish for I shall wish for too I shall wait for you All your life Replied the dead girl The children Of this world or the other Were singing nursery-rhymes With their lovely silly words Which are probably the relics Of humanity's Most ancient poetic monuments The student slipped a ring On the dead girl's ring-finger This is the token of my love And of our wedding-day Neither time nor parting Will make us forget our promises And one day we will be married in style With bunches of myrtle in our wedding finery And in your hair There will be a good sermon at the church Long speeches after the wedding-feast And music And more music Our children Said his fiancée Will be more lovely lovelier by far (Alas! the ring was broken) Than if they were made of gold and silver Of emeralds or diamonds They will be more bright brighter by far Than the stars in the firmament Than the light of the dawn Than your eyes my beloved They will have a sweeter sweeter fragrance (Alas! the ring was broken) Than the lilac that is just beginning to open Than thyme and roses or a sprig Of rosemary or lavender When the musicians had gone We walked on again At the edge of a lake We had fun making the smooth flat stones Skip over the water Which was dancing gently There were boats at anchor In a little harbour When everyone was on board We unmoored And a few dead people rowed With as much energy as the live ones In the prow of the boat which I was steering A dead man was talking to a young girl Who was wearing a yellow dress With a black bodice And pale blue ribbons and a grey hat Ornamented with a tiny crumpled feather I love vou He was saying As the pigeon loves the dove As the moth at midnight Loves the lamp Too late Replied the girl Who was not dead You must forget this unlawful love I am married Look at the ring shining My hands are shaking I am weeping and wish I could die The boats had arrived At a place where the light-horsemen Knew there was an echo We kept asking it questions There were such queer questions And the answers came back so pat You would have died of laughing And the dead man said to the young girl How happy we would be together The water would close over our heads But you are weeping and your hands are shaking None of us will ever return We disembarked and by then It was time to think of going back The lovers were making love The couples with smiling lips Were following each other The dead had chosen the living And the living The dead At times a juniper bush Made us think it was a ghost The children bollow-cheeked Rent the air blowing on their whistles Made from the wayfarer's Or the elderberry tree While the soldiers Sang yodelling songs And shouted to each other as they do Up in the mountains In the town Our little band grew smaller We wished each other Goodnight Cheerio So long Some went to the pubs Some left us At a cat's-meat shop To buy their evening meal Soon I was alone with the dead Who were walking straight To the cemetery Where Beneath the vaulted roofs I recognized them Lying down Motionless And well dressed Behind the plate glass windows Waiting to be buried They had no idea Of what had happened But the living remembered it Like an undreamed-of happiness And one so certain That they did not fear they would forget it They lived such noble lives That those who the night before Had looked upon them as their equals Or even something less Admired now Their health their riches and their genius For there's nothing better for the soul Than to have loved the dead You become so pure that in the end You come to identify yourself In the glaciers of the brain With that one memory You are fortified against life And have need of no one any more |